Je ne sacrifierai pas ; cela est dû au Créateur, non à une créature.
Saint Victor de Marseille, officier dans la légion thébaine, martyr

L’abbaye qui dit aussi Marseille
De l’abbaye Saint-Victor, lieu de piété, de légende et d’histoire, d’architecture et de souvenir, ne subsistent que les deux églises médiévales superposées*. Très riche et puissante, l’abbaye s’imposera pendant des siècles comme un des hauts lieux du christianisme. Fondée au 5ème siècle par Jean Cassien, à proximité des tombes de martyrs marseillais, l’abbaye est dédicacée au premier d’entre-eux, Victor de Marseille, officier romain. L’abbaye disparaitra à la révolution, après une lente décadence religieuse et morale engagée dès le 15ème siècle. Seuls les sanctuaires survivront à la révolution.


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Comme un point fixe pour une histoire de Marseille, urbaine, sociale, politique et oublieuse, Saint-Victor figure parmi les rares monuments marseillais rescapés du Moyen-âge.
L’histoire de Saint-Victor ramène aux temps de la christianisation de la Gaule et pourrait couvrir l’ensemble de la Provence par le récit ramifié de ses possessions. Un tricotage d’architectures militaire et religieuses rappelle les siècles d’imbrication des pouvoirs temporels et spirituels de l’abbaye. Il renvoie aussi à ses rapports souvent tendus avec la ville, les évêques et les comtes. Il embrouille aussi les mémoires qui aiment à ses réfugier dans de belles histoires ou des légendes.

Les 9 jours des navettes
L’abbaye porte la mémoire de rites et de pratiques d’un ancrage ancien. Les 9 jours (ou octave) de la chandeleur mobilisent la ferveur populaire, les corps de métiers marseillais et les nations qui la composent avec des messes en plusieurs langues. La procession du 1er jour débute dès 5h du matin sur le port. Elle est conduite par la Vierge noire vêtue de vert. Après la précession, l’archevêque bénit les cierges, verts eux-aussi, avant de prononcer une messe face à la ville. Puis il bénit les navettes**, gâteaux à la fleur d’oranger qui font la fortune de quelques pâtissiers.
Des voiles sur le sanctuaire

Je ne reproduirai pas ici les contenus de sites spécialisés, consacrés à la trop riche histoire de Saint-Victor, de son édification à sa déchéance et son démantèlement. Je préfère approcher par touches ce qui fait ma fascination pour le bâtiment, l’ambiance spirituelle marron-gris qu’il déploie sous un filet, sa crypte et les mystères et migrations de saint Lazare et de saint Victor. Avec autant de voiles que de pointes fécondes pour l’imaginaire.

L’église inférieure est l’un des plus importants sanctuaires paléochrétiens de Gaule. Souvent les marseillais le décrivent comme une crypte creusée qui n’auraient jamais offert à la vue un extérieur fait de murs, de portes et d’ouvertures. Pourtant, ce sont les transformations urbaines et l’édification de l’abbatiale médiévale qui en ont fait un sanctuaire souterrain. Le masque de terre et de remblai sur l’envers de ce qui se donne à voir nous contraint, comme le ferait un voile, à rêver sa silhouette ancienne. Ce jeu de revers et envers renvoie vers notre âme à chacun, demeure de Dieu pour que nous demeurions en Lui.
Le destin des saints débarqués
Un autre voile recouvre et trouble la réalité de Saint-Victor, ouvrant des voies fertiles pour l’a rêverie et la méditation : la venue de Saint Lazare à Marseille. Il aurait débarqué aux Saintes-Marie avec ses sœurs Marie-Madeleine et Marthe. A eux trois, ils auraient engagé l’évangélisation de la Gaule. Marie-Madeleine s’est retirée à la Saint-Baume quand sa sœur finit par s’installer à Tarascon après avoir vaincu la Tarasque. La fratrie de Béthanie avait voyagé accompagnée de Marie Jacobé, Marie Salomé, Sidoine et Maximin, les 2 premiers évêques d’Aix-en-Provence.
Les femmes furent les premières au tombeau de Jésus ressuscité et voici que certaines d’entre-elles ont rejoint la Provence. La grotte de la Sainte-Baume est ce tombeau dont sort le Vivant comme il sort de la parole rapportée par les Marie et leurs compagnons.
Un panneau à l’entrée de Saint-Victor rapporte le récit des actions improbables de Lazare de Béthanie et justifie la mémoire de son apostolat par la foi des marseillais. Le tombeau de saint Lazare est pourtant vénéré à Larnaca, sur l’ile de Chypre où saint Pierre l’aurait envoyé. La concurrence des légendes est une richesse, car deux vaut plus qu’un. Cette richesse s’élève encore du fait même de la croyance.
Saint-Lazare d’Aix

Les autorité de l’abbaye pourraient avoir cultivé une confusion entre Lazare, l’ami ressuscité du Christ, et saint Lazare d’Aix, évêque du 5ème siècle. L’abbaye a travaillé cette confusion pour son prestige, mettant en scène ses trois grands personnages : Lazare, Victor et Isarn Ce dernier a fait bâtir l’église actuelle. Leurs tombeaux sont eu cœur de la scénographie de la crypte.
La puissance de Lazare, aussi, a traversé le port. Elle magnifie l’ancienne Major, sanctuaire fermé à la visite. Un autel en marbre de Carrare dédié au saint, sculpté au 15ème siècle par Francesco Laurana, embellit ce qu’il reste du sanctuaire tronqué.
Aujourd’hui, la chapelle latérale droite de la nouvelle Major accueille des reliques du légendaire évangélisateur de Marseille.
Ces reliques avaient quitté Marseille par sécurité pour Autun au 10ème siècle. Monseigneur Belsunce a obtenu en 1737, de l’évêque d’Autun, qu’un fragment de côte et trois ossements de la main soient translatés à Marseille***.
Er que nous disent ses tours carrées et crénelées qui semblent avoir fait l’objet d’une création récente****?
L’une des dernières intervention concerne l’installation de vitraux de Max Ingrand*****, en remplacement de ceux détruits en 1944.

Jésus lui dit : ton frère ressuscitera.
Jean 11, 21
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Notes
*Le site de l’abbaye a servi de lieu de sépultures à l’époque grecque et romaine, s’étendant sur une zone assez vaste. Le nom de la rue Sainte conserve le souvenir de cette implantation
** Biscuits en forme de barque qui, une fois bénis, sont achetés par les pèlerins
***La plus grande partie des reliques de saint Lazare d’Aix reste conservée dans la cathédrale d’Autun
****« Saint-Victor qui pourrait être la plus vénérable basilique de France si Viollet-le-Duc n’était pas passé par là… » a écrit par erreur Blaise Cendrars
****Il a réalisé également les vitraux de l’église Saint-Georges aux Catalans, à quelques centaines de mètres de Saint-Victor
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Depuis mon balcon, on peut voir la tour d’Isarn, du nom de l’abbé qui la fit ériger au 11ème siècle. Elle parait collée à l’une des tours Labourdette et couronnée d’un toit qui se situe en réalité à l’arrière.
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A suivre…
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