… on choisit Étienne, un homme plein de foi et d’Esprit Saint.
Actes 6, 5a

Les deux Saint-Etienne
Pendant la monarchie de juillet, Mulhouse, ville pluri-confessionnelle, construira deux églises, dédiées toutes deux à Saint-Etienne, une catholique et une protestante. Les élites protestantes tiennent la ville, ses instances politiques et ses ressources financières. Elles dirigent l’industrie et le commerce qui rapidement changent d’échelle. Les grandes familles protestantes ,au travers des institutions municipales, contrôlent la croissance urbaine qui sera au service de l’industrie et du renouvellent de son propre habitat.
Le déploiement industriel appelle une main d’œuvre catholique qui vient de la campagne. Il faudra bien loger les ouvriers et leur bâtir des églises.
Mais les dirigeants protestants se révèlent réticents à un renforcement du catholicisme. Des oppositions confessionnelles anciennes structurent encore la vie sociale et politique. Quand on tient tous les leviers, on ne peut éviter les contradictions qui deviennent des chausse-trappes. Mulhouse dans la première moitié du 19ème siècle donne à voir en image réduite les tiraillements de l’Europe qui s’industrialise. Elle ajoute à cette représentation en miniature une dimension confessionnelle et historique, comme un retour inconscient qui joue contre elle.
La tentation de se passer du pouvoir d’encadrement des ouvriers par l’Église traversait la bourgeoisie, bénéficiant d’une asymétrie à son profit.

L’horizon de la révolution de 1848 se rendait perceptible. Retardant l’édification d’une église catholique, au final, le groupe dominant aura facilité une émancipation à ses dépens.
Un architecte pour 3 sanctuaires
Le 12ème siècle avait vu la consécration de Saint-Eienne, un édifice roman, édifié sur le site d’une première église, en bordure de la future place de la Réunion, espace urbain central qui accueille également l’Hôtel de la ville. L’église Saint-Etienne connaîtra des ajouts gothiques par campagnes, du 14ème au 16ème siècle, puis la tour sera dotée en 1707 d’un bulbe à la mode, de style baroque.
En 1523, Mulhouse, ville libre d’Empire, alliée aux cantons suisses, choisit le protestantisme. Les catholiques voient leur pratique religieuse interdite et sont chassés de l’église Saint-Étienne, dés lors consacrée au culte réformé.



Au milieu du 19ème siècle, le conseil municipal décide de bâtir un nouvel temple. La construction de l’église catholique s’achève et la bourgeoisie protestante ne peut se contenter d’un sanctuaire ancien, plus modeste. Le cheminement des autorités catholiques pour obtenir terrains et autorisations avait fini par aboutir, malgré les atermoiements des autorités municipales et les chicanes qu’avaient su développer les plus virulents en son sein*.
On démolit le temple existant en 1858 et l’architecte de la ville Jean-Baptiste Schacre qui vient de réaliser une synagogue à Mulhouse** et l’église catholique Saint-Etienne***, réalisera le nouveau temple. Il sera de style néo-gothique, comme le sanctuaire catholique.
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Le nouveau Temple
Le temple Saint-Etienne se inauguré en 1866. La flèche culmine à 97 mètres. Il s’agit du plus haut clocher du Haut-Rhin comme du plus haut clocher protestant de France. Le style du bâtiment, comme la taille de son clocher, lui valent d’être parfois considéré comme la cathédrale de Mulhouse*****.
Son intérieur respecte les principes des temples réformés, déformant les règles gothiques originelles, avec en particulier une absence de colonnes et un rapport largeur-longueur différencié.

Cependant, de très beaux vitraux provenant de l’ancienne église, et qui assombrissent la nef, bousculent la vision protestante de l’éclairage des lieux de culte*****. Le sens des images transforme la présence de la lumière. L’un des vitraux donne à voir une Tour de Babel. Une chaire néogothique s’appuie sur le mur du fond., dans le respect cette fois des principes d’aménagement des temples. La force de la Parole atteint les fidèles.

Des jeux d’orgue
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Poursuivant leurs jeux de regards en coin, les deux églises Saint-Etienne accueillent de somptueux orgues romantiques de leurs temps, réalisés par les maîtres incontestés de ces styles : la protestante avec un romantique allemand d’Eberhadrt-Friedrich Walcker, la catholique avec le seul vrai Cavaillé-Coll d’Alsace. Ce dernier a été commandé la même année que le Cavaillé-Coll de l’église Saint-Charles de Marseille, située rue Grignan, longtemps appelée rue de la Tolérance parce qu’elle accueille également une synagogue et un temple réformé.
Le Eberhadrt-Friedrich Walcker a été transformé au 20ème siècle afin d’y jouer Bach dans l’esprit du culte protestant. Une souscription récente vise à financer un retour vers le romantisme. Le caractère mélomane du sanctuaire pourrait ainsi prendre le pas sur la tradition musicale de la Réforme ?
Albert Schweitzer, adolescent, a joué sur ce Walcker.

Marseille
Tous ceux qui siégeaient au Conseil suprême avaient les yeux fixés sur Étienne, et ils virent que son visage était comme celui d’un ange.
Actes 6, 15
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Notes
*Voir La construction des deux Saint-Etienne, un catalyseur des crispations interconfessionnelles à Mulhouse (1830-1866) – David Tournier
**De style néo-classique
***Le choix d’un même architecte est-il le signe du caractère multi-confessionnel de la ville, d’une volonté de contrôle par les autorités (il s’agit d’un architecte municipal) ou d’un entre-soi des élites ?
****Comme l’est souvent pour les visiteurs de Marseille l’église des Réformés, elle-aussi néogothique et au nom d’usage trompeur (l’église tire son nome des Augustin-Réformés et non de la Réforme)
*****Un éclairage maximum par des baies importantes et sans vitraux, dans le double but de permettre à chacun de participer au culte et au chant des psaumes et de se démarquer de l’obscurité des cathédrales – Source Musée du protestatisme

L’église des réformés de Marseille, depuis ma fenêtre
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A suivre…
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